Les espèces végétales composant l’enherbement naturel des vergers d’agrumes sont considérées comme des adventices lorsqu’elles entrent en compétition avec les arbres notamment pour l’eau, les nutriments, la lumière ou bien lorsqu’elles contribuent à l’hébergement de parasites (Fischer & Jordan, 1991). Le niveau de compétition dépend de l’adventice, de sa densité mais aussi de la tolérance de l’arbre qui elle-même est liée à son âge. Les jeunes agrumes sont plus sensibles que les arbres adultes (Davies & Albrigo, 1994). Ces facteurs de risque de compétition conditionnent les pratiques de gestion de l’enherbement en verger d’agrumes dans le monde entier qui se résument bien souvent à une gestion mécanique (mulching ou labour) ou chimique (herbicide) ou bien encore une combinaison de toutes ces pratiques (Davies & Albrigo, 1994). Celles combinant la limitation de l’enherbement par mécanisation (Mathais & Filho, 2005 ; Mas et al., 2007 ; Yang et al., 2007) et le désherbage chimique sur la ligne de plantation, offre généralement les meilleurs résultats en terme de rendement (quantité et qualité de fruits). Cependant, ces pratiques ne sont pas sans impact sur l’environnement d’une part compte tenu de l’utilisation d’herbicides chimiques et d’autre part vis-à-vis des risques d’érosion du sol notamment s’il y a labour. Les problèmes de pollution des eaux souterraines liés à une utilisation banalisée et parfois abusive des herbicides (Novotny, 1999) encouragent l’étude et la recherche de solutions alternatives de cette gestion de l’enherbement. Différentes stratégies, observées dans les systèmes de culture appelés ‘low-external-input’, se donnent donc comme objectif la diminution voire la suppression des herbicides et mettent en œuvre pour cela de véritables tactiques écologiques (Anderson, 2005 ; Liebman & Davis, 1999 ; Gerowitt, 2003). Ces pratiques se nourrissent parfois de l’expérience de l’agriculture biologique où les herbicides chimiques sont interdits (Bond & Grundy, 2001). Les enjeux communs de ces managements écologiques des adventices sont la réduction des intrants à la parcelle, la préservation du sol et de sa biodiversité, la lutte contre l’érosion, etc. Si dans l’élaboration de ces stratégies la rotation culturale est une pratique prépondérante (Teasdale et al., 2004), cette dernière est difficilement applicable en verger d’agrumes en Guadeloupe où les pentes et l’empierrement des parcelles limitent les possibilités de mécanisation de ce type de pratique culturale.
Différents types de matériel végétal peuvent être utilisés pour l’enherbement (annuelles ou pérennes, graminées ou légumineuses…) et l’on peut distinguer différents types d’enherbement de par leur origine semée ou spontanée. Le maintient d’un enherbement des vergers peut avoir de nombreuses répercussions positives sur le système sol, la plante, l’environnement et les services écologiques qu’il peut ainsi procurer. Pratiquement abandonné suite aux développements des herbicides sur les systèmes de culture viticoles, l’enherbement des inter-rangs est, par exemple, à nouveau promu, en particulier dans les vignobles septentrionaux ou irrigués (Ripoche, 2009). L’enherbement peut dès lors être apparenté à une seconde culture car il modifie fortement la structure du système biophysique et particulièrement la composante sol.
La présence de ce couvert peut modifier les états de surface du sol et par conséquent le ratio ruissellement/infiltration ayant pour avantage de réduire les risques d’érosion (Gagliano et al., 2008) mais aussi les transferts de pesticides dans les eaux de surface (Louchart et al., 2001). Cette modification des états de surface peut aussi avoir un impact positif sur la portance du sol et permettre de réduire les conséquences des passages d’engins (Ripoche, 2009). Ces effets positifs peuvent être contrebalancés par des effets négatifs notamment vis-à-vis des compétitions pour les ressources du sol comme l’eau et les nutriments (azote). Les plantes composant l’enherbement peuvent en effet puiser dans les ressources du sol et appauvrir ainsi les horizons explorés par le système racinaire de la culture de rente. Ces compétitions pour les ressources hydriques et azotées qui découlent de ces mécanismes peuvent avoir des conséquences importantes pour la croissance des arbres (Davies et Albrigo, 1994 ; Grisoni, 1997 ; Wright et al. 2003), notamment dans leur phase juvénile durant laquelle le système racinaire est encore superficiel (de 0 à 3 ans). Les arbres adultes explorent les horizons plus profonds du compartiment de sol, ils sont de ce fait moins sensibles à ces compétitions ; du moins, la croissance et la production de fruits, semblent moins affectées (Le Bellec et al., 2010b).
Dans le cas d’une gestion d’un enherbement spontané, les stratégies de gestion peuvent se résumer à gérer les contraintes, notamment en jouant sur les pratiques culturales pour minimiser les impacts (Ripoche et al., 2010) tout en ‘récoltant’ les bénéfices. Dans le cas d’un enherbement semé, outre la gestion de ces mêmes contraintes, des services spécifiques sont recherchés. Dans les vergers, de nombreuses associations ont été testées à travers le monde. Ces études répondent soit à des objectifs uniques soit à une prise en compte globale de l’influence de l’enherbement sur la culture fruitière associée.
La lutte contre des ravageurs telluriques ou l’étude des enherbements comme plantes hôtes de ravageurs ou au contraire d’auxiliaires sont souvent les premières raisons des études spécifiques, même si l’utilisation de légumineuses pour leur intérêt de plantes amélioratrices est souvent un préalable. Par exemple, Lapointe et al. (2003) ont mis en évidence le pouvoir de toxicité de Tephrosia candida (Fabaceae) sur les larves de Diaprepes spp. dont la larve affecte considérablement les racines des agrumes. Autre exemple, négatif cette fois, Arachis glabrata (Fabaceae) est reconnue comme plante hôte de nématodes phytophages (Macchia et al. 2003) ; ces études spécifiques sont généralement réalisées au laboratoire.
Au champ, les études enherbement/verger sont orientées vers la lutte contre les adventices (Gutierrez et al. 2002 ; Matheis et al., 2005) et/ou l’érosion ou encore comme plantes améliorantes, à humus (Godefroy, 1988 ; Charpentier et al., 1999 ; Wright et al., 2002 ; Da Silva et al., 2002). Les objectifs communs de ces travaux sont d’étudier l’impact de ces enherbements sur le rendement du verger. Selon les écologies, les associations et les années (influence directe de la pluviométrie d’une année à l’autre), les impacts sur le rendement varient mais restent globalement positifs dans les conditions de culture non limitées par la ressource en eau. Au Brésil par exemple, Canavalia ensiformis (Fabaceae, annuelle et semée chaque année durant 5 ans) a permis d’augmenter les rendements d’un verger d’oranger de près de 60 % (De Carvalho et al., 2002), mêmes hausses de rendement significatif observées à Cuba avec Stylosanthes (Fabaceae) associé à des orangers (Borrota-Perez et al., 2001) ou encore en Chine avec Trifolium (Fabaceae) associé au kaki (Jiang-XiaoJun, 2003). Dans tous les cas les enherbements sont constitués de légumineuses.
A contrario, le témoin sol nu offre parfois les meilleurs rendements, comme par exemple en Arizona où un Trifolium (Fabaceae) a été associé à des limettiers et des orangers ; les auteurs attribuent ces différences de rendements à une concurrence par rapport à l’eau (Wright et al., 2003), mêmes observations en Australie avec Arachis (Fabaceae) associé à des macadamia (Firth, 1995). Cette compétition pour l’eau constitue probablement la contrainte la plus importante de la gestion de l’enherbement des vergers qu’il soit spontané ou semé.
Comme les impacts d’usages répétés d’herbicides sont loin d’être sans conséquence sur l’environnement, sur la santé de l’agriculteur (Matheis & Victoria, 2005) mais aussi sur la rentabilité de la culture (coût des produits phytosanitaires) (Carvalho et al., 2003), généraliser un enherbement pérenne dans les vergers semble être, dans ces conditions, indispensable.
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Fabrice Le Bellec (UR HortSyst, Cirad)
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